La Femme traversante
EAN13
9782889071029
Éditeur
Zoé
Date de publication
Collection
Ecrits d'ailleurs
Langue
français
Fiches UNIMARC
S'identifier

La Femme traversante

Zoé

Ecrits d'ailleurs

Indisponible

Autre version disponible

Contexte culturel Si des diasporas de différents pays d’Asie sont présentes
aux États-Unis depuis près de deux siècles, ce n’est qu’à la fin des années
1960 qu’émergent des mouvements identitaires et culturels asio-américains,
dans le sillage du Black Power et de l’American Indian Movement. En 1976, la
parution du roman de Maxine Hong Kingston The Woman Warrior: Memoirs of a
Girlhood Among Ghosts (Les Fantômes chinois de San Francisco, Gallimard,
1979), primé à de nombreuses reprises, est un acte fondateur de la littérature
asio-américaine. Publié presque dix ans plus tôt, en 1968, le roman de Chuang
Hua Crossings (La Femme traversante, Zoé, 2023) était passé inaperçu et fut
rapidement épuisé. Il a été redécouvert au début des années 2000 et est
aujourd’hui considéré comme un jalon important de ce mouvement littéraire, qui
a perduré avec des textes tels que Le Joy Luck Club d’Amy Tan paru en 1989
(Flammarion, 1992), ou en 2019, Un bref instant de splendeur, de l’écrivain
issu de la diaspora vietnamienne Ocean Vuong (Gallimard, 2021). Le roman La
Femme traversante, c’est l’histoire de « Jane quatre », la quatrième des sept
enfants de Dyadya. Médecin chinois, ce dernier a fui son pays durant
l’invasion japonaise des années 1930 et s’est installé à New York, où sa
nouvelle carrière de courtier lui a permis d’offrir une vie privilégiée à sa
famille. Patriarche autoritaire, aimant mais maladroit, il dirige d’une poigne
de fer sa progéniture, aux côtés de sa femme Ngmah, avec laquelle il forme un
couple soudé, socle de toute la cohésion familiale (« l'unité de toi et de
Ngmah qui ne devait en aucun cas être ébranlée, et à laquelle nous nous
soumettions tous »). Dyadya construit au fil de discours emphatiques le mythe
de son exil en Amérique, s’assure que ses aînés donnent l’exemple, entre dans
une colère noire lorsqu’un de ses fils tombe amoureux d’une « barbare » – une
Blanche. Et s’efforce d’aider sa fille Jane à trouver sa place, en lui
choisissant le bon mari : « Oui, oui, je sais, j'ai commis une erreur avec le
précédent. Il n'était franchement pas fait pour toi. Celui-ci, il est fait
pour toi. Tes sœurs ont fait leur choix toutes seules, mais dans ton cas on
peut optimiser le choix en choisissant ensemble. Écoute-moi. Celui-ci, il est
vraiment différent. Fais-moi confiance, et tu n'auras rien à regretter. Rien à
regretter. Je serai heureux de te voir casée, comme toutes les autres. » Mais
Jane ne l’entend pas de cette oreille. Pour s’affranchir de la lourde
tradition familiale et trouver un territoire neutre entre influences
américaine et chinoise, elle quitte les États-Unis pour l’Europe. Elle
séjourne à Paris notamment, où elle entame avec un journaliste français une
relation qui s’avèrera toxique : lui, sans scrupule, se sert d’elle qui,
amoureuse, lui prépare avec tendresse des plats chinois qu’il dédaigne : « Un
jour passa. Elle lui écrivit un mot. Elle l'invitait à dîner le samedi
suivant, elle ferait un poulet rôti. Le vendredi soir, toujours sans
nouvelles, elle se coucha tôt et se réveilla au petit matin, juste avant
l'aube. Incapable de replonger dans le sommeil, elle se leva, saisie d'une
envie impérieuse de cuisiner. Comme toujours quand il faisait noir dehors,
elle n'éclaira que faiblement la cuisine, en allumant le vestibule et en
laissant la porte ouverte. Elle prit le temps de concocter un repas raffiné
pour un invité incertain. Elle rinça le poulet sous le jet brûlant du robinet
et le posa sur l'égouttoir. Puis elle hacha des branches de céleri en
diagonale, ainsi qu'un oignon, et alluma le feu sous une poêle où elle mit une
bonne dose de beurre. Tandis que l'oignon et le céleri brunissaient dans le
beurre grésillant elle ajouta le gésier et le foie, hachés très fin. Elle
remua, couvrit la poêle et réduisit le feu au minimum. Elle cassa des noix
fraîches à la main, deux à la fois, pour en retirer les fragments de chair
humides. Quand elle en eut rempli une tasse, elle les versa dans la poêle.
Elle remplit d'eau une grosse marmite pour y vider un paquet de riz sauvage et
la mit à chauffer sur un deuxième feu. Plusieurs fois elle découvrit la poêle
et en remua méthodiquement le contenu, soit pour égaliser la cuisson, soit
pour ajouter des pincées de laurier, de thym, d'origan, de sel et de poivre.
[…] Dans la cuisine, elle ajouta le riz égoutté à la mixture qui cuisait dans
la poêle. Avec une cuillère, elle fourra la farce brûlante à l'intérieur du
poulet, le recousit et le mit au four. Elle régla la température à mi-distance
exacte de cent cinquante et de deux cents, puis se remit au lit et tomba dans
un profond sommeil. » L’écriture de Chuang Hua est comme on les aime chez Zoé
: cinématographique et sobre, d’une très grande sensibilité ; sincère aussi :
pas de folklorisme ni d’exotisme, les allusions à la culture chinoise sont
subtiles, infusent à travers certaines thématiques ou le caractère des
personnages (par exemple le cercueil de la grand-mère enterré sur une chape de
ciment, plus facile à exhumer dans l’éventualité d’un retour précipité en
Chine). Son écriture voisine avec les courants expérimentaux des années 1960,
sans tomber dans l’extrême. Par des effets de glissements temporels et
spatiaux, elle juxtapose l’histoire de Jane quatre, son tiraillement
intérieur, des scènes de l’enfance en Chine, la vie de la famille installée à
New York, ou l’influence de Dyadya vieillissant qui s’érode progressivement.
Un extrait (pas facile de choisir !) qui rend compte de la question de
l’identité, de l’importance de la famille et du rôle de Dyadya, patriarche
infatigable « Où est Nancy Une s'écria Dyadya en rassemblant les enfants un
par un dans l'escalier du métro londonien à l'issue d'une journée de
promenade. Il tourna la tête et plissa les yeux, aveuglé par le soleil
couchant. Nancy s'avança et dévala les marches pour rejoindre les autres dans
le boyau ténébreux. Un par un, les enfants franchirent les tourniquets, Nancy
Une fermant la marche. Nancy tu es ma fille aînée et tu es censée donner
l’exemple, dit Dyadya. James tu es l'aîné de mes fils et tu es censé donner
l’exemple. Ils regagnèrent leur hôtel, qui donnait sur les jardins de
Kensington, dans la sombre âpreté d'un soir de novembre. Une fois dans leur
suite, Dyadya vida le sac de papier kraft empli d'épinards frais qu'il avait
acheté à la sortie du métro. Il les rinça, jusqu'à leurs racines roses, dans
le lavabo de la salle de bains, retira soigneusement les pousses gâtées, et
déposa les feuilles ruisselantes sur une serviette blanche et propre étalée au
fond de la baignoire. Il s'accroupit sur la moquette du salon, devant le
réchaud à alcool installé à côté du radiateur. Il vida deux boîtes de bouillon
de poule dans la casserole léchée par une flamme bleue silencieuse. Lorsque le
liquide se mit à bouillir et la vapeur à s'élever, il ajouta deux œufs et se
hâta de remuer. Enfin il y versa les épinards, apportés par Nancy Une sur la
serviette d'hôtel blanche. Les enfants accroupis autour de lui regardèrent les
épinards se racornir dans le liquide bouillonnant, aspirant par bouffées des
odeurs familières qui ravivaient le souvenir de repas savourés ailleurs. »
Stella Yang Copley est née à Shanghai en 1931. Dans les années 1930, sa
famille fuit l’invasion japonaise, se rend à Hong Kong puis en Angleterre, et
s’installe finalement aux États-Unis. Le père, médecin en Chine, fait fortune
en tant qu’agent de change et assure une vie confortable à ses sept enfants.
Après ses études, Stella Yang Copley mène à New York puis dans le Connecticut
une vie discrète jusqu’en 2000, année de sa disparition. D’inspiration
autobiographique, La Femme traversante est son seul roman, publié en 1968 sous
son nom chinois, Chuang Hua. Le traducteur Serge Chauvin est professeur des
universités en traduction et traductologie, spécialiste de littérature et de
cinéma américains. Il a notamment traduit Jonathan Coe, Teju Cole, Colson
Whitehead et Richard Powers. La postfacière Amy Ling (1939-1999) a dirigé à
l’université du Wisconsin le programme d’études asio-américaines, pour
lesquelles elle a fait figure de pionnière. Elle a notamment écrit Between
Worlds: Women Writers of Chinese Ances...
S'identifier pour envoyer des commentaires.