Albertine

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Sous le pseudonyme d'Albertine, hommage à Marcel Proust, se dissimule une Joëlle passionnée de lecture depuis l'enfance. Mon appétit d'ogresse pour les mots, les histoires, les voyages à travers les pages ne s'est pas atténué avec les années. Je marche au coup de cœur, guidée par ma curiosité qui m'incite toujours à découvrir de nouveaux écrivains, à explorer de nouveaux genres. Je navigue entre romans policiers, fresques historiques, livres feel-good et essais sur l'actualité, au gré de mes humeurs et des rencontres avec certains auteurs. Participer à Dialogues Croisés, c'est partager ce bonheur de lire et avoir l'opportunité de mettre dans la lumière des « pépites » littéraires.

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20 août 2017

Pour pleinement apprécier ce récit, il a fallu que" j'ajuste ma focale" de lecteur. M'ayant été proposé comme un roman policier, j'avais déjà en tête une "grille de lecture". Il est vrai que la quatrième de couverture évoque un squelette mis au jour en drainant un étang. Il pourrait s'agir de lady Beresford, disparue vingt ans plus tôt à Darlington dans le Nord de l'Angleterre. Son corps, un poignard fiché dans la cage thoracique, n'aurait jamais été découvert si au printemps 1824 ne se construisait la première ligne de chemin de fer. Cet étang, situé sur le tracé, doit disparaître pour que le chantier puisse se poursuivre. Ce cadavre est bien embarrassant, il réveille de vieilles histoires, révèle de sombres secrets et freine aussi la "marche" du progrès.

La recherche de l'assassin ne va pas constituer, loin s'en faut, le fil conducteur de la narration. Jean-Pierre Ohl nous décrit surtout l'Angleterre au temps de la révolution industrielle, à une époque charnière où le progrès est vu d'un mauvais oeil par les hobereaux de province, par les plus pauvres qui n'en ressentent aucunement les bienfaits, mais séduit certains capitaines d'industrie peu scrupuleux. Cette peinture, extrêmement détaillée, rappelle les romans d'Anthony Trollope. Je n'ai pas saisi toutes les allusions historiques, faute de connaissances suffisantes.

J'ai préféré aux références historiques le point de vue des multiples personnages sur cette année 1824. L'histoire se déroule à Londres et à Darlington. Dans la capitale, nous suivons Charles Dickens, âgé de douze ans, dont la famille est en prison pour dettes et qui gagne quelques sous dans une fabrique de cirage. Nous entrons aussi dans l'intimité de Leonard Vholes, par le biais de son journal intime. Le lien que cet individu assez inquiétant entretient avec les Beresford se précise tout au long du roman. A Darlington, Edward Bailey, trentenaire plus connu pour sa propension à faire la fête que pour ses talents de notaire, est nommé juge de paix, en charge d'élucider l'affaire du squelette de l'étang. Il forme un duo très plaisant avec Snegg, son clerc de notaire. Rien n'est fait pour leur faciliter la tâche tant les intérêts en jeu sont multiples. Coincés entre les tenants du progrès et ceux qui sont persuadés que le chemin de fer est celui du diable, ils avancent vaille que vaille à la recherche de la vérité. L'affaire intéresse aussi les ouvriers et nous permet d'en découvrir quelques-uns.

Je me suis perdue dans ce roman d'une grande richesse, ne parvenant plus à certains moments à identifier les nombreux personnages, égarée entre toutes les pistes narratives : enquête policière, hommage au roman gothique, peinture à la Trollope. Cette abondance a fini par me submerger, et pourtant l'ensemble est très bien écrit et parfaitement construit.

Une lecture en demi-teinte

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16 août 2017

"Elle respira la nuit, en renversant sa tête en arrière. Les étoiles lui tombèrent dans les yeux. Elle en fut comme éblouie."

Quel bonheur de découvrir Franz Bartelt ! Sur les conseils fort avisés d'un libraire, je me suis lancée dans la lecture de ce roman policier. Roman policier ? L’appellation est ici réductrice tant pour la narration qui se joue des codes du genre que pour le style, parfois "brut de pomme", parfois d'une merveilleuse sensibilité.

L'hôtel du Grand Cerf se trouve à Reugny, au cœur des Ardennes. La bière y coule à flots, mais la parole est plus rare. Les langues ne se délient pas facilement, surtout devant les étrangers au village. Les secrets y macèrent, certains depuis la Seconde Guerre Mondiale. Tout va pour le mieux dans ce panier de crabes. Seulement, le douanier du coin, Jeff Rousselet, dont le passe-temps est de consigner sur des sous-bocks de bière les petites et les grandes infamies des habitants, est retrouvé, la tête explosée d'un coup de fusil. Quel crabe a-t-il pris peur ? Serait-ce Richard Lépine, directeur du Centre de Motivation, une sorte de Koh-Lanta pour cadres supérieurs, supposé en faire des mâles alpha. Son passé est trouble et sa volonté de racheter le village morceau par morceau assez étonnante. Il s'agit du suspect le plus évident, mais l'arbre ne doit pas cacher la forêt. Nombreux sont les habitants qui ont quelque chose à se reprocher, Léontine Londroit est en haut de la liste. A 86 ans, coincée dans son fauteuil roulant, elle n'en continue pas moins à diriger l'hôtel du Grand Cerf. Depuis la mezzanine, elle observe les agissements de sa fille et de sa petite-fille, compte les pintes et surtout écoute d'une oreille attentive les informations qui échappent aux gueules saoules. Son établissement a connu une heure de gloire tragique dans les années 1960. Une star du cinéma, Rosa Gulinger, a été découverte, noyée dans la baignoire de la chambre qu'elle occupait au Grand Cerf. Reugny était le lieu de tournage de son dernier film. La police locale a très (trop) vite conclu à un accident, lié au penchant pour la bouteille de la vedette.

Deux morts à deux époques différentes amènent dans ce lieu reculé Nicolas Tèque et Vertigo Kulbertus. Le premier, journaliste à la petite semaine, se renseigne sur Rosa Gulinger pour le tournage d'un documentaire. Le deuxième, inspecteur à quatorze jours de la retraite, est chargé d'élucider le crime du douanier. Chacun à leur manière, ils vont œuvrer pour que la vérité éclate. Ils doivent unir leurs forces car les crimes s'enchaînent à une vitesse alarmante. A la nonchalance de Nicolas répond la tonitruance de Vertigo. Le personnage de l'inspecteur, dont la spectaculaire obésité, ferait presque oublier l'intelligence acérée, est haut en couleur, un mélange de provocation et de sentimentalisme exacerbé.

L'enquête suit son cours, tissant des liens entre le passé et le présent, les fantômes sortant peu à peu des placards. Le lecteur, lui, se régale. Il s’esclaffe à la lecture des dialogues savoureux et cède à l'émotion quand Franz Bartelt évoque la nature, en de petits tableaux d'une incroyable poésie.

Un roman que j'ai adoré

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4 août 2017

L'amour est plus fort que les maux/maux !

Sachant que "Le linguiste était presque parfait", le premier roman ayant pour personnage Jeremy Cook, m'avait laissée de marbre et que j'ai fait rimer tous mes cours de linguistique avec matière soporifique, vous pourrez vous demander et avec raison, pourquoi (mais oui pourquoi ) a-t-elle lu "Une putain de catastrophe" ? Je vous épargnerai les "Qu'allait-elle faire dans cette galère ?" et autre "Souvent femme varie, bien fol qui s'y fie". J'ai déjoué les pronostics défavorables et adoré ce livre de David Carkeet.

Si vous acceptez le postulat suivant , vous allez passer un très bon moment.
n°1 : Une agence mystérieuse du nom de Pillow se fait fort de "soigner" les "maux" des couples en analysant les "mots" que les époux s'adressent, voire se jettent à la tête.
n°2 : Un linguiste (ici Jeremy Cook) va vivre à demeure chez les "patients" pour disséquer leur communication et en repérer les dysfonctionnements.

Une fois le spécialiste dans la place, en l'occurrence chez Dan et Beth, couple appartenant à la classe moyenne américaine, parents de Robbie, 10 ans, il va appliquer la méthode Pillow pour rabibocher les deux ex-tourtereaux. Heureusement qu'il possède cette méthode ! Jeremy Cook ne connaît rien au mariage, échoue lamentablement quand il s'agit d'avoir une relation suivie avec une jeune femme, et a même réussi à décourager Paula, qui avait tout pour lui plaire. Cet incompétent notoire va donc s'appuyer sur le MANUEL Pillow, un jubilatoire chez-d'oeuvre de nonsense pour parvenir à ses fins. Le linguiste découvre petit à petit ses instructions. Il lui est interdit de lire en avance les "actions" préconisées par l'auteur de la méthode pour soigner les mariages à la dérive. Jeremy sait cependant par l'intermédiaire de Dan et Beth, qui se sont soumis aux tests de l'agence que leur couple contient une HORREUR. Au fil des jours passés en compagnie de ses patients, l'éminent linguiste croit repérer cette fameuse horreur et s'en ouvre à Roy Pillow lors de leurs nombreuses conversations téléphoniques. A chaque fois, il s'entend dire qu'il est à côté de la plaque.

Quel métier ! Ecouter les paroles échangées par un couple, réfléchir aussi sur leurs interactions verbales avec leur famille et leur voisinage et tenter d'en dégager ce qui "coince". Le chantier est pharaonique. Jeremy compose avec Dan et Beth et leur volonté plus ou moins grande de sauver leur mariage, leur agacement croissant face à ses ingérences dans leurs conversations. Le lecteur, lui, mesure l'immensité de la tâche et surtout (même si c'est toujours sur le ton de l'humour) la difficulté de bien communiquer avec son conjoint. Jeremy Cook apprendra, au bout de péripéties aussi rocambolesques les unes que les autres, que la méthode Pillow a ses limites et que l'amour est souvent plus fort que les maux/mots.

Un conseil, laissez-vous tenter par cette lecture ! Accueillez Jeremy Cook comme Beth au début du chapitre 4 :

"Chérie, le linguiste est arrivé !

- Ah..."

Buchet-Chastel

16,00
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20 août 2016

On a enlevé le petit Jésus !

L'affaire est d'importance, le père Steiger et son sacristain Berk n'ont pas hésité à faire appel au service d'un détective privé. Depuis trois ans, le petit Jésus de la crèche paroissiale est enlevé peu après Noël. Les deux hommes veulent résoudre ce mystère, qui n'a rien de divin, et délèguent ce soin à notre personnage principal, un ancien gardien de square reconverti dans les enquêtes. A son tableau de chasse, un fait d'arme exceptionnel : avoir retrouvé la vieille tortue du jardin botanique de Chanville !

Amateur de sensations fortes, ce roman n'est pas pour vous ! Maintenant, si vous aimez les sketchs de Raymond Devos et les films de Buster Keaton, vous devriez prendre le plus grand plaisir à suivre l'avancée de cette enquête. Notre privé essaie de faire pour le mieux, muni de son carnet où il note consciencieusement le moindre renseignement. Il tenterait bien une filature (il connaît le modus operandi ) mais pour cela, il lui faudrait un suspect. Et point de suspect à l'horizon ! Fort bouché d'ailleurs l'horizon, dans tous les sens du terme. Notre héros, débarqué dans une ville de province enneigée, patauge. Son seul indice est une bouloche de laine bleue trouvée sur "la scène du crime". Les jours passent et l'auteur nous dévoile les minuscules avancées de notre "apprenti détective" : ses incursions au café du coin ou au salon de coiffure pour glaner des informations, la piste du gérant du Kebab (un grand taiseux que son silence rend suspect), la reconstitution de l'enlèvement. Chaque micro-détail de son quotidien devient important. Nous sommes tenus régulièrement au courant de l'état de son pied droit comprimé dans les bottines neuves achetées sur place.

Isolé dans cette ville inconnue, il téléphone chaque jour à sa femme pour lui dire que son retour est retardé. En effet, le coupable lui échappe toujours et le père Steiger ne l'a toujours pas payé, rendant sa situation difficile. Il n'a pas l'argent nécessaire pour régler sa note d'hôtel, ou le billet de train pour rentrer chez lui.

Sa couverture de représentant en vin de messe et roulement à billes fait long feu, la crèche est défaite par les employés de la ville, qu'importe, il mènera sa mission jusqu'au bout ! Le personnage principal est touchant de naïveté. Il a l'art de se prendre les pieds dans le tapis et le quotidien dans ce qu'il a de plus banal devient quand il le raconte une véritable épopée.

Cette "enquête", ou plutôt cette parodie "d'enquête" se lit le sourire aux lèvres.

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19 août 2016

Une corne d'abondance ...

A chacun sa corne d'abondance, la mienne, et il me semble celle de Michaël Uras, est pleine de mots, de mots doux ou âpres, de prose ou de poésie, de livres lus et relus sans jamais en épuiser la magie. A tant aimer les mots, l'on finit par avoir de l'encre qui coule dans les veines et la réalité sans cesse nous ramène à la fiction, la citation toujours au bout des lèvres.

Je me suis reconnue dans Alexandre, bibliothérapeute de son état et personnage principal de ce roman. Il a choisi cet "étrange" et beau métier : soigner par les mots, et sa patientèle est très diverse . Pendant les quelques mois où nous partageons sa vie, trois hommes entament une thérapie, un jeune homme, défiguré après un accident et devenu muet, un quinquagénaire, businessman au bord du burn-out et un célébrissime joueur de foot, tenté de quitter la France.

Alexandre établit leur "fiche clinique" et leur conseille des livres pour les aider à surmonter les crises qu'ils traversent. le thérapeute et ses patients se voient ensuite régulièrement pour parler de leur avancée dans les œuvres "prescrites" et des incidences de cette lecture sur leur vie.

Le personnage principal pratique "l'auto-médication", il lit pour combler un manque d'amour maternel, pour oublier que Mélanie, sa compagne, est partie, pour fuir une époque souvent débilitante. L'auteur nous offre des passages de ses lectures : petits bouts de poème, de théâtre, de roman, et mon cœur fond de reconnaître tant d'auteurs qui me sont familiers.

Ce livre est du pur bonheur pour les amateurs de mots. C'est aussi un récit ancré dans notre époque, dont il décrit les travers avec beaucoup de drôlerie. Il sait aussi se faire "grave" quand il évoque les "bien pensants", qui s'arrogent le droit de juger et de punir ceux qui ne leur ressemblent pas. Le style de Michaël Uruas est moderne, sans pour autant céder à "la mode" du moment. Il a un sens de la formule et un timing qui font de ce roman un cocktail revigorant !