Devenir une légende

Thimothy S. Lane

Stock

  • Conseillé par
    4 mars 2016

    La collection « La Cosmopolite » des éditions Stock ne me déçoit presque jamais. J’y ai fait la découverte de très bons auteurs comme Anne Tyler ou encore Emma Donoghue. Et c’est un peu par hasard si j’ai jeté mon dévolu sur cet auteur américain que je ne connaissais pas, interpellée par le résumé assez choquant de son livre. Un adolescent se jette tête la première contre un mur de gymnase, courant et se heurtant, encore et encore, jusqu’à perdre conscience. Mais qu’est-ce qui a bien pu lui prendre ? C’est là la grande question du roman. A partir de ce drame, l’auteur déploie son intrigue pour nous expliquer la raison de ce geste. Entre passé et présent, Timothy S. Lane louvoie par à-coups, nous ouvrant à des instantanés du quotidien d’une famille lambda, qui n’aura pas été épargnée par la vie.

    La narration est ingénieuse. Elle égrène les heures entre le geste désespéré de Jimmy, multipliant les allers-retours entre le passé de ses parents et le présent où sa famille est éclatée. Les révélations se font au compte-goutte, l’auteur cherchant tout d’abord à nous laisser apprivoiser les Kirkus, de père en fils. Du père, star de basket au fils lui-même doué pour ce sport. Le parallèle entre Jimmy et son père puis entre son père est son grand-père est tracé. Timothy S. Lane analyse les relations père-fils avec beaucoup de tact et une grande lucidité. Que ce soit en cherchant à tout prix à se démarquer de son père pour ne pas répéter les erreurs du passé ou en voulant au contraire marcher sur ses traces pour mieux rivaliser avec la figure paternelle, l’auteur explore toutes les pistes des rapports père-fils.

    Chacun des personnages, bien que truffé de failles, possède un charisme impressionnant. Je me suis attachée à chacun d’entre eux. La figure du grand-père, sorte de vieux fou vagabond, m’a particulièrement émue. La scène entre les trois générations réunie sur le terrain de basket est un vrai crève-cœur. La plume sait se faire poignante sans verser dans le pathos. J’ai d’ailleurs éprouvé une grande facilité à visualiser les évènements tant l’auteur est communicatif. Mieux, j’ai eu parfois l’impression de voir un film se dérouler devant mes yeux, à tel point que j’ai même choisi des acteurs pour tous les rôles ! Ce roman ferait un très grand film à n’en pas douter.

    On espère des lendemains meilleurs pour cette famille touchée par la tragédie et contre qui le mauvais sort semble s’acharner. Mais « La malédiction Kirkus » frappe et n’épargne rien sur son passage. Peu à peu, on découvre l’ampleur du drame et on finit par saisir les raisons qui ont poussé Jimmy à se fracasser le crâne… En dehors des liens familiaux, l’auteur dresse également le portrait de ces petites villes où chacun se connait et où l’on s’approprie la renommée de ces jeunes talents qui réussissent. L’atmosphère oppressive qui s’en dégage est un poids de plus pour qui cherche à se faire oublier. Vous avez beau faire des efforts, batailler de toutes vos forces pour vous sortir la tête de l’eau, c’est impossible si tous les habitants épient vos moindres faits et gestes et se posent en donneurs de leçons. L’auteur livre une réflexion éclairée sur la notion de réputation et de célébrité, même éphémère. Faites une erreur une fois et elle vous collera à la peau comme de la super glue. Un très beau roman, émouvant et cruel, pénétrant et pudique. Inoubliable. A l’image de ces leçons pour « Devenir une légende ».