Matlosa
EAN13
9782889072521
Éditeur
Zoé
Date de publication
Collection
DOMAINE FRANCAIS
Langue
français
Langue d'origine
français
Fiches UNIMARC
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Matlosa

Zoé

Domaine Francais

Indisponible

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Matlosa : « dans ces coins », écrit Daniel Maggetti au début de son livre, «
on employait le terme pour désigner toute personne dont on ne pouvait pas
retracer la généalogie, et la catégorie comprenait généreusement quiconque
venait de plus loin que cinquante kilomètres à la ronde ». « Ces coins »,
c’est une vallée reculée de la Suisse italienne. Au début des années 1930, un
père et son fils débarquent dans le minuscule village de Verscio, où la rumeur
enfle : qui sont-ils, ces étrangers, ces matlosa ? On apprend rapidement que
le plus vieux s’appelle Cecchino et qu’il est le grand-père maternel du
narrateur. Ce livre s’attache à reconstituer sa vie. Des années qui suivent la
naissance de Cecchino en 1883 dans un village de Lombardie, on ne saura
presque rien : « C’est dire la chape d’ignorance recouvrant l’existence de
Cecchino, qui d’après ses filles ne fut jamais disert et qui n’a guère laissé
de traces grâce auxquelles la postérité, c’est-à-dire moi, pourrait combler
les lacunes. Si je m’en tiens à ce que racontait ma mère, ses enfants n’ont eu
accès, en fait de biographie paternelle, qu’à un tissu effiloché composé de
quelques épisodes choisis, pas forcément ceux qu’on attendrait, d’ailleurs. »
Ce que le narrateur sait de source sûre, c’est que Cecchino est devenu
charbonnier, comme son père avant lui. Cet apprentissage donne lieu à des
pages splendides, description épique d’un métier disparu. Et puis en 1910,
Cecchino, 27 ans, épouse Rosa. Le narrateur mène une enquête minutieuse sur
les origines de cette grand-mère elle aussi pleine de secrets. Dans quelles
circonstances Cecchino, ce garçon issu d’une famille respectée, a-t-il épousé
Rosa, une enfant trouvée ? Comment la jeune femme a-t-elle été accueillie dans
la famille de son mari ? Une question après l’autre, le narrateur en arrive au
cœur du sujet : l’exil. En 1928, alors que l’Italie succombe aux sirènes du
fascisme, Cecchino part pour la Suisse, accompagné de son fils. C’est là-bas
qu’ils deviennent des saisonniers, des étrangers, des matlosa. Rosa, qui les
rejoint, n’y survivra pas. Mais si le sujet est grave, il n’empêche pas
l’auteur de le traiter avec un certain humour, par exemple au moment d’évaluer
le choix de l’exil que fait l’aïeul : « avec le recul, je suis plutôt d’avis
que mon grand-père a été perspicace ; mais comme je suis moi-même compris, si
l’on veut, dans la série des conséquences de son expatriation, ce jugement est
peut-être moins objectif que je ne le prétends. » Le personnage d’Irma, fille
de Rosa et Cecchino et mère du narrateur, est peut-être le plus émouvant du
livre. Elle est celle qui a transmis à son fils les bribes d’histoire à partir
duquel le roman se construit, mais elle est aussi la gardienne du silence, car
en 1961, à la naissance du narrateur en Suisse, le petit village lombard où
tout a commencé a disparu des conversations : « On connaissait certes le nom
du lieu, mais personne à part ma mère ne s’y était jamais rendu ;
l’appellation était celle d’une contrée quelque peu irréelle, comme si une
sorte de tissu légendaire était tendu à l’arrière-plan de l’enfance d’Irma. »
C’est donc une double errance que dessine ce livre : celle de Rosa, Cecchino
et Irma – les matlosa –, et celle du narrateur, qui s’efforce de recomposer
l’histoire. Les recherches fouillées que Daniel Maggetti a menées sont
restituées avec une sorte de fausse légèreté jubilatoire. L’auteur maîtrise
l’art de mêler littérature et généalogie, documents officiels et conjectures
plus ou moins fondées, pour nous offrir ce livre bref et tendu, dans lequel
des destins entiers sont ramassés en une seule phrase. À la fin du roman, si
Irma se sent pour toujours à cheval entre deux mondes, il en va autrement pour
le narrateur, fils et petit-fils de matlosa. Au bout de la route, une forme
d’apaisement, peut-être. Né au Tessin en 1961, Daniel Maggetti mène depuis
près de trente ans une double activité. Après des études de lettres à
Lausanne, Zurich et Paris, il poursuit une carrière académique qui le conduit
notamment à diriger d’importants chantiers d’œuvres complètes : celles de
Catherine Colomb (Zoé, 2019) et Gustave Roud (Zoé, 2022), ainsi que celles de
C. F. Ramuz, dont il codirige la collection qui lui est consacrée chez Zoé, la
« Petite Bibliothèque ramuzienne ». En parallèle, Daniel Maggetti publie
depuis 1995 une œuvre littéraire qui a obtenu plusieurs prix. Il le dit lui-
même : chacun de ses romans est comme le nouveau chapitre d’un même livre. Les
lieux dont il parle ont beau se situer dans un mouchoir de poche, quelques
vallées du sud des Alpes, l’univers qu’il explore de texte en texte ouvre sur
le monde entier, et plonge au plus profond de gestes séculaires et d’émotions
universelles. Et il le fait dans une langue sautillante et grave, composée de
phrases amples qui envoûtent et déboussolent, intriguent et amusent, dans un
mélange unique de fantaisie, d’érudition et de poésie.
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