Une étrange histoire d'amour

Luigi Guarnieri

Actes Sud

  • 23 mai 2020

    Je connaissais peu l'histoire de Robert et Clara Schumann en ouvrant ce livre de Luigi Guarnieri...

    L’histoire de Clara Schumann est celle d’un amour fou, qui n’empêcha ni Robert Schumann, son mari, de sombrer dans la folie, ni Clara de sacrifier son art pour lui.
    Quand Clara Wieck rencontre Robert Schumann à Leipzig, en Allemagne, elle a huit ans. Lui en a dix-sept. Il vient prendre des cours de piano chez son père, Friedrich Wieck, célèbre professeur qui a fait de sa fille Clara une musicienne virtuose, se produisant en public dès l’âge de dix ans.

    Les années passent, Clara compose, se produit dans toute l’Europe, devient célèbre. Robert compose aussi de son côté. En réalité, les deux musiciens créent leurs mélodies en songeant l’un à l’autre, car une indéfinissable alchimie de sentiments les lie. Mais Friedrich Wieck, le père de Clara, interdit aux amants de se marier. Leurs cinq années de fiançailles s’écoulent donc surtout en correspondance littéraire et clandestine, et ils finissent par entamer un procès contre Friedrich Wieck pour pouvoir se marier. A l’aube de ses vingt-et-un ans, Clara Wieck devient enfin Clara Schumann.
    En plus d’épauler son mari dans les exigences de la composition, Clara devient mère de huit enfants, donne moins de concerts et ne compose plus guère.
    Mais elle aime passionnément Robert Schumann qui l’adore tout autant.
    Bien que poussée par Robert, Clara craint de le décevoir et n’écrit de la musique pour lui qu’à Noël et lors de ses anniversaires. Lorsqu’au bout de treize années de vie conjugale, Robert Schumann s’effondre dans la maladie, Clara n’ose tout simplement plus composer et quarante années de veuvage se passent ainsi sans qu’elle reprenne quasiment jamais plus la composition. Elle demeure cependant l’une des plus grandes pianistes de son temps.
    Si par amour, Clara semble avoir renoncé à une partie de son art, ses mélodies sublimées par le sentiment amoureux font pourtant la grandeur de son œuvre.Un idéal cher à l’époque romantique.

    Voilà ce que j’apprends en écoutant un podcast France Culture consacrée à Clara Schumann dans Une vie une œuvre.
    Luigi Guarnieri choisit pour narrateur Johannes Brahms, l'homme de l'ombre de ce trio singulier. Le texte s'ouvre sur cette longue lettre écrite par Johannes, au sortir des funérailles de celle qu'il a profondément aimée, en silence, toute sa vie.
    « Du reste, que seraient les vies des hommes, si elles devaient toujours être racontées avec discrétion ? Même la mort ne peut pas interrompre notre longue conversation. Au contraire, elle peut la rendre beaucoup plus sincère. »
    Clara a été longtemps la moitié de Robert, elle s’est voulue le double, le génie de son aîné. Ils tiennent un journal conjugal, publié désormais chez Buchet Chastel. Johannes Brahms vit dans ce 19 ème siècle contradictoire du public des hommes et du privé des femmes.
    Le mariage est le cadenas de la vie de la femme. Clara Schumann renonce à la musique pour la fusion amoureuse. Elle abandonne ses propres frontières. La fusion devient annexion.
    « En partageant votre existence, jour après jour, lentement mais inexorablement, j’ai commencé à percevoir la vérité. Et en me basant sur nombre détails que toi-même, peut-être sans aucune arrière-pensée, tu m’as racontés. »
    « Sans toi, Robert n’aurait pas pu entretenir le moindre rapport avec le monde extérieur. Tu lui as servi de filtre, de paravent. »
    Johannes Brahms s’efforce de mériter toujours plus son affection exclusive. Leurs deux âmes sont en parfaite harmonie, une affection tendre et sincère.Clara aime en lui l’essence libre et généreuse de son cœur. Elle fera tout pour ne pas couvrir de boue cette relation unique.
    Pendant les dernières années de vie de Robert Schumann, le jeune Johannes et la célèbre pianiste vécurent une belle étrange histoire d'amour. Le titre du roman a été soufflé à l'auteur par celui de la sonate en la mineur pour violon et piano de Brahms, dont parlent certains documents mais qui n'a jamais été retrouvée.
    Au fil de cette longue lettre, les personnages s’incarnent avec force. La part secrète prend forme.
    « Nous devons jouer notre vie à la première lecture, m’as-tu dit, et suivre la partition que le destin, chaque jour, nous met sous les yeux. »
    Tu m’as étreint, et tu as continué. « Vivre, au fond, n’est qu’une habitude sordide. Obligations, affections, devoirs. N’oublie pas : la vie est suspendue à un fil, mon petit Hannes. »

    « Tu as fait de moi un être complet, même si ce ne fut que pour un court instant, et pourtant, je t’ai déjà perdue.[…] Mais ce qui était arrivé ces nuits-là me semblait si absurde, si irréel, si improbable, qu’en y repensant, je craignais que tout cela, en réalité, ne fût jamais arrivé. »

    Il n’est pas de surplomb possible pour cette étrange histoire d’amour que de sombrer dans la folie pour l’un, dans l’indicible douleur pour l’autre.